L’année a commencé comme elle s’était terminée dans le Sahel, en proie à une guerre d’usure depuis bientôt dix ans. En janvier 2013, l’armée française volait au secours du Mali face à l’avancée de groupes djihadistes. Neuf ans plus tard, les violences n’ont jamais été aussi meurtrières et étendues.
Les groupes qui se revendiquent soit d’Al-Qaida, soit de l’Etat islamique portent des coups bien au-delà du Mali. Le front terroriste s’est déplacé et a gangrené le Burkina Faso et le Niger. La zone dite des trois frontières est désormais l’épicentre d’une guerre dont personne ne se risque à prédire la fin. Développement inquiétant: ces dernières semaines, des attaques ont même été revendiquées dans le nord du Bénin. Les autres pays côtiers craignent une contagion. Le risque sécuritaire érode aussi la démocratie sur le continent. Du fait de cette tenaille et de l’impact du covid, le magazine Jeune Afrique qualifie 2022 de l’année de «tous les dangers» pour l’Afrique.
Plus à l’est du continent, malgré leur scission, les groupes issus de Boko Haram continuent de terroriser la population dans le nord du Nigeria, ainsi que dans les pays voisins. Plus surprenant: un groupe rebelle a hissé le drapeau noir de l’Etat islamique dans l’est de la République démocratique du Congo, pays où les musulmans sont marginaux, avant de commettre des attentats suicides dans la capitale de l’Ouganda voisin le 16 novembre dernier. Ces Forces démocratiques alliées (ADF), nouvelle franchise de l’Etat islamique entretiennent sans doute des liens avec les combattants dans le nord du Mozambique. En 2021, ces derniers ont gagné du terrain dans la province du Cabo Delgado. Ils sont parvenus à stopper un immense projet d’exploitation gazière qui devait assurer le décollage économique du pays.
Est-ce à dire que l’Afrique est devenue le principal front de la lutte contre le terrorisme, alors que l’Etat islamique a perdu son assise territoriale au Moyen-Orient sous les coups d’une armada internationale entre 2017 et 2019? Dans ses organes de propagande, l’Etat islamique vante de plus en plus les opérations menées en Afrique. Les experts ont noté une professionnalisation de la communication de certains groupes, sans pouvoir déterminer l’ampleur du soutien matériel et financier apporté par la nébuleuse aux franchises africaines. La circulation des combattants d’un pays à l’autre semble limitée.
«Pas de projet politique d’ensemble»
«Les groupes terroristes profitent de la mondialisation et de ses nouvelles technologies présentées comme l’avatar de l’Occident honni», remarque Dêlidji Eric Degila, professeur à l’Institut des hautes études internationales et de développement à Genève. «Mais je ne crois pas qu’ils ont une stratégie régionale à l’échelle du continent. Ils échangent plutôt des bons procédés opératoires. Il y a beaucoup d'opportunisme. Ils veulent contrôler des portions de territoires riches en ressources, dans une logique de seigneurs de guerre. Je ne vois pas de projet politique d’ensemble.»
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L’épouvantail russe
Dans cette impasse, les prochains mois verront-ils l’ouverture de négociations avec des groupes aujourd’hui qualifiés de terroristes? Dêlidji Eric Degila prône une approche au «cas par cas». La France est farouchement opposée à de tels pourparlers. Mais le retrait français pourrait se poursuivre, au profit notamment de Moscou. En effet, les indices de l’arrivée des mercenaires russes au Mali se multiplient, malgré les démentis de la junte malienne qui a pris le pouvoir en 2020. «Il faut dépassionner ce débat, plaide le professeur de l’IHEID. Toutes les aides extérieures devraient viser à renforcer les armées locales pour éviter les situations de dépendance.» Un chantier immense et incertain.
Source: Extrait d'un article paru dans le quotidien Le Temps/Genève. 6.1.22
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