29.11.21
Depuis quelques semaines, et encore plus depuis le début de la Cop 26, l’Ougandaise Vanessa Nakate occupe la une de nombreux médias internationaux. Pourtant, il y a quelques mois, c’est en l’ayant occultée, lors du recadrage d’une photo où elle posait avec plusieurs activistes pour la justice climatique que l’agence de presse américaine Associated Press (AP) a mis la jeune femme sur le devant de la scène. Occultée, plus pour faire de la place à une Greta Thunberg plus célèbre, que par racisme selon les défenseurs de l’agence, l’Ougandaise est devenue presque incontournable lorsqu’on évoque l’Afrique et les changements climatiques. Avec son portrait en une du magazine Time, parmi les « championnes de l’éducation », elle fait partie de la liste des 100 personnalités à suivre en 2021, réalisée par le média.
« En 2018, j’ai commencé à essayer de comprendre pourquoi les communautés autour de moi faisaient face à une multiplication des événements climatiques extrêmes, comme les inondations, les sécheresses, les glissements de terrain… J’avais bien sûr entendu parler du changement climatique en classe de géographie, au lycée, mais d’une manière générale, il n’était pas question des impacts dans un pays comme l’Ouganda. Je ne savais même pas que l’Accord de Paris sur le climat de 2015 existait et que des négociations internationales se poursuivaient. Ce que j’ai découvert m’a donné envie de faire quelque chose », raconte Vanessa Nakate.
« Je ne savais même pas que l’Accord de Paris sur le climat de 2015 existait et que des négociations internationales se poursuivaient. Ce que j’ai découvert m’a donné envie de faire quelque chose »
C’est en cherchant des moyens de s’engager pour lutter contre la pollution et l’émission des gaz à effet de serre qu'elle découvre Greta Thunberg. La jeune suédoise, devenue célèbre, lançait à cette époque le mouvement « Fridays for Future » où des étudiants faisaient des grèves pour attirer l’attention sur les problèmes climatiques.
Au fil de ses découvertes, la jeune ougandaise devient plus révoltée, plus présente sur les réseaux sociaux. Sa grève regroupe alors plus de personnes. Vanessa Nakate lance alors, avec d’autres enthousiastes, le mouvement « Rise up ». « J’ai lancé un projet pour installer des panneaux solaires et des poêles écologiques dans les écoles. Depuis, nous avons fait des installations dans six écoles et je suis très heureuse de dire ça. Avec ce projet, nous avons rendu ce type d’énergie accessible », raconte la jeune militante. Son travail est remarqué et lui permet d’être invitée à des évènements dédiés à la lutte pour le climat hors de son pays. Mais si elle est bien connue en Ouganda, et même dans le cercle des activistes africains pour le climat, à l’extérieur du continent, son visage est encore peu connu.
Sa première prise de parole à un évènement public se déroule à Kampala, au Rotary Club de Bugolobi, son quartier. Son engagement est vite remarqué au point de lui faire obtenir, en décembre 2019, une invitation à prendre la parole à la COP 25 de Madrid. Un mois après, elle est invitée en Suisse pour participer au Forum économique mondial, connu sous le nom de Forum de Davos. Durant cet évènement, aux côtés d’une vingtaine d’autres jeunes du monde entier, elle rédige une lettre pour appeler les entreprises, les banques et les gouvernements à arrêter les investissements dans les énergies fossiles. Elle en profite pour poser sur une photo, aux côtés de Greta Thunberg, qui l’a inspirée, et de deux autres activistes. Seulement, lorsque l’Agence AP publie la photo, Vanessa Nakate est coupée.
« Pour la première fois de ma vie, j'ai saisi ce que veut dire le mot racisme », raconte la militante. D'autres agences se trompent en essayant de l’identifier sur la photo et confondent Vanessa Nakate avec l’activiste zambienne Natasha Mwansa. La jeune fille timide qu’elle était, quelques années auparavant, n’aurait sûrement pas réagi. Mais Vanessa Nakate a changé. Elle apostrophe AP et les défenseurs de l’acte sur Twitter dans une vidéo où sa colère et son indignation sont palpables. Depuis cet incident, sa notoriété ne cesse de grimper en flèche.
La COP 26 s’achève ce 12 novembre, 3 jours avant les 25 ans de la jeune militante ougandaise, mais pour elle le temps presse déjà. Avec les retombées du réchauffement climatique, qui continuent de frapper l’Afrique, 2030 ne parait pas si lointain. Vanessa Nakate est de plus en plus active, multiplie les alertes et fait même partie, dans son pays, d’un groupe d’activistes chargé de suivre l’avancée du projet de loi contre le réchauffement climatique actuellement discuté au Parlement ougandais. Pour elle, tout le continent doit se mobiliser. « Dans toutes les parties du continent, les jeunes s’expriment et ils ont besoin qu’on les écoute et qu’on relaie leur message : Elizabeth Wathuti du Kenya, Adenike Titilope Oladosu du Nigeria, Roseline Isata Mansaray de la Sierra Leone, Veronica Mulenga de la Zambie, Kaossara Sani du Togo, et tant d’autres… Les jeunes Africains font déjà assez, ils se mobilisent. Et j’appelle tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à nous rejoindre », exhorte-t-elle.
Il y a quelques semaines, la militante a lancé les ventes en librairie de son livre « Une écologie sans frontières ». Pour elle, le monde doit se battre et investir dans la justice climatique. « La justice doit permettre que chacun puisse satisfaire ses besoins essentiels. Cela peut concerner l’accès à la nourriture, à l’eau, à la santé… autant de domaines bouleversés par le dérèglement climatique. Si nous voulons traiter la question climatique de manière équitable, il faut aller au-delà des solutions technologiques, ne pas parler seulement d’énergies renouvelables, de véhicules électriques… mais veiller à ce que les populations les plus fragiles ne soient pas davantage marginalisées ». Les actions concrètes qui vont dans ce sens se font encore attendre. Mais pas question pour Vanessa Nakate de perdre espoir. « Je dois garder espoir. C’est la seule façon de continuer à avancer. C’est ce qui me permet de penser que le futur que nous voulons est non seulement nécessaire, mais il est possible. Partout dans le monde, des jeunes se lèvent pour réclamer des actes et je sais que si demain je n’ai pas la force d’organiser une grève, un ou une autre le fera », philosophe l’Ougandaise.
source et article complet: Servan Ahougnon, www.agenceecofin.comVANESSA