Madame Lamia Moubayed
Directrice, Institut des Finances Basil Fuleihan
Une gouvernance publique en crise et une régionalisation entravée
La rive sud de la Méditerranée et la péninsule arabique vivent, depuis déjà cinq ans, aux rythmes d’enjeux politiques, sécuritaires, économiques, et sociaux d’ampleur. Partout, des ruptures du contrat social émergent, bien que variant en forme et en intensité. Cette nouvelle donne qui s’impose depuis le début des soulèvements populaires de 2011 entraîne une reconfiguration des systèmes de gouvernance ainsi que des modalités d’intervention de l’aide publique au développement.
En 2016, la montée en puissance des solidarités tribales, ethniques et communautaires transnationales a affaibli les structures étatiques centrales. Le coût de la violence et des conflits a été estimé à 613,8 milliards de dollars de pertes économiques en cinq ans et à un déficit fiscal de 243,1 milliards; pertes renforcées par l’effondrement des cours du brut dans les pays du Golfe. L’avènement de ces nouvelles contraintes macro-économiques risque d’entraver les leviers d’action et de prospérité sociale généralement utilisés par les pays de la région, ainsi que les capacités de financement des fonds de développement arabes.
Contestation du « système » en place et de sa légitimité, des inégalités sociales et territoriales, appel à plus de justice et de meilleurs conditions de vie, soulèvements contre la répression, et la patrimonialisation du pouvoir politique et économique par des clans d’essence familiale ou tribale… sont autant de problématiques qui trouvent principalement leurs sources au sein de la gouvernance publique et de l’exercice de l’Etat de droit.
Or, cette gouvernance publique accuse dans la région, et depuis de nombreuses années, une grave crise, avec des indicateurs se positionnant loin derrière les moyennes mondiales. A titre d’exemple, pour l’année 2015, la région enregistrait un score de 25/100 en termes de Voix et Responsabilité, de 44/100 en termes d’Etat de Droit et de 43/100 en termes de Contrôle de la Corruption. L’indice de bien-être avait déjà été estimé à 4.8 sur la période 2010-2012, soit l’un des plus bas au monde, comparable à celui de l’Afrique Subsaharienne et l’Asie du Sud. Et en 2015, les citoyens arabes ont continué d’exprimer, dans le cadre de l’Indice d’Opinion Arabe, 59% d’opinions négatives par rapport aux résultantes des « Révolutions du Printemps ».
Ces défaillances ont longtemps été accentuées par les disparités, socio-économiques caractérisant les pays de la région et par la fragmentation de ce bloc régional, qui représente encore aujourd’hui l’une des grandes lignes de fracture économique, sociale et démographique dans le monde globalisé. Les indicateurs commerciaux le reflètent bien, notamment celui du commerce interarabe qui ne constitue que 6 à 9% du volume commercial, comparé à des taux allant de 55 à 66% dans la zone UE et à 24% dans le bloc asiatique (ASEAN). L’assistance multilatérale constitue moins de 13% du volume total de l’assistance arabe au développement (avant les révolutions) comparée à 30% dans les pays de l’OCDE. Les pays de cette région, abstraction faite des ingérences politiques singulières qu’elle subit, ainsi que leurs voisins européens directs, ont ainsi tout à gagner en investissant davantage dans la coopération sud-sud, en harmonisant leurs droits de douanes, en créant des zones de libre échanges, en investissant dans des infrastructures communes de production, de commerce et d’innovation, et en créant des forums de politiques publiques complémentaires pour la sécurité, la santé et l’eau.
Un réseau des écoles de la fonction publique en Méditerranée peut-il servir l’agenda de la gouvernance publique? - Article complet